Parler avec les mains
« Les USA n'ont pas besoin
Fidel Castro
de saboter la révolution,
on peut le faire nous-mêmes. »
Ici, au Nord, on a perdu l’art du discours. Même le politicien, réputé être un professionnel en la matière, délaisse la langue de bois pour singer l’homme ordinaire et feindre d’appartenir à sa classe. Plus personne ne se laisse convaincre par les paroles et le plus cohérent des discours semble être celui qui se dissout dans l’action, niant aussitôt son importance.
C’est tout le contraire des Havanais. Ça fait pourtant un bail qu’ils ne digèrent plus la rhétorique du Parti, mais ils n’ont pas perdu l’amour des mots et c’est peut-être là leur seul héritage révolutionnaire vivace. L’être cubain, celui qui refuse catégoriquement la politique tout en maîtrisant à la perfection sa technique, est la manifestation la plus aboutie de ce qu’on appelle, à tort ou à raison, la postmodernité. Il est l’avant-garde du désenchantement, la fin d’une utopie matérialisée, car pour lui, toute action représente un danger de mort. Ne lui reste donc que les mots.
Être éloquent est pour les Cubains une question de survie. Autour des hôtels, les débrouillards fouinent à la recherche de la moindre information. Les dollars, ils sont dans les poches des touristes, et pour leur plaire à ces touristes – que dis-je, pour les hypnotiser – ils n’ont que des mots sur lesquels dansent leurs mains. Le Cubain en quête d’un sou fait de la musique et multiplie les syncopes en alternant les moments forts entre sa voix et ses gestes.
Quand les Cubains me parlent avec les mains, j’ai l’impression de les comprendre; les gestes qui ponctuent la parole en sont la portion universelle. Les mains donnent du relief aux personnages, illustrent leurs extravagances. Elles aèrent, pour ainsi dire, l’architecture imparfaite des phrases.
C’est l’expression d’une culture ancestrale emprisonnée sur l’île, une image d’un passé qui ne veut pas disparaître, qui ne peut pas disparaître.
PDF journal
En haut
« Mythologie
Martin Arriola,
pour les insectes »
En Haut
Pour la première fois, j’ai expérimenté le maniement de la caméra au sommet d’une grue, en plein coeur de la fin d’août caniculaire. C’était pour le compte de Martin Arriola. Il prépare en ce moment la sortie de son EP « En Haut » prévu le 20 octobre prochain au Verre Bouteille. Je suis très heureux de vous présenter le vidéoclip de sa chanson thème, une chanson pour faire planer les esprits.
Le cinéma a toujours été un astucieux mélange entre corps et esprit. Le deuxième plan du vidéoclip, ce mouvement de la grue vers les cieux longuement réfléchi en scénarisation, témoigne de cet équilibre. Il aura fallu installer patiemment une grue de 35 pieds, morceau par morceau, pour atteindre ce niveau de précision. Heureusement que j’avais sollicité l’aide de mon frère sans qui l’équipe de tournage aurait mis un temps fou à accomplir ce tour de force. Laissez-moi vous expliquer la technique : une fois à mon poste, assis à la tête de cet engin, on égalise le poids de celle-ci par rapport à la queue, créant ainsi un centre d’inertie. C’est ça le secret. Après tous les efforts déployés, voilà maintenant que je pèse une plume pour l’opérateur de la grue, Jeff Landry, qui peut me déplacer à sa guise, comme un enfant fait voler sa figurine de superman.
Perché confortablement là-haut, je pensais à ce que me racontait mon collègue Christian Fleury au sujet du grutier qu’il a eu la chance de photographier pour le compte de Canderel au sommet de la Aura, cette tour résidentielle à Toronto dont la construction s’achève et qui est devenue, l’année dernière, la plus haute du pay. Il faut imaginer ce qu’est la vie d’un grutier surplombant l’étendue du chantier, un chantier qui sans lui, disait-il, demeure paralysé. Du haut des airs, le grutier partage le ciel avec quelques collègues privilégiés, dont il connaît le petit nom, et qui sont disséminés sur les chantiers des alentours dans une ville qui à cette altitude ressemble à une maquette. Ce point de vue sur le territoire urbain donne à ces hommes un sentiment de puissance : pour eux, la société est faite par des hommes-fourmis. J’ai eu l’espace d’un après-midi la même impression. Inversement, que ce soit sur un chantier ou sur un plateau de tournage, il faut imaginer les travailleurs sur le plancher des vache qui passent leur journée à regarder dans les airs chacun des mouvements de la grue aux bouts desquels ils accueillent les matériaux en douceur. Tout ça est d’une harmonie extraordinaire.
Christian et moi avions abordé ce sujet lorsque je lui ai parlé du documentaire sur lequel je planche et qui concerne la révolte des travailleurs en 1972 à Sept-Îles. Je ressens une certaine affinité avec ces gars : étant moi-même un passionné de la technique, je les ai en haute estime. L’un des protagonistes de mon film est d’ailleurs grutier. Cette discussion m’a fait comprendre que pour bien cerner mon sujet, il serait impératif de voir cet artiste de la grue et héros oublié de la grève à l’oeuvre sur un chantier.
Location Ronin 2 et Ready Rig GS + ProArm en location à Montréal
« Nous ne devons pas refuser
Guy Debord,
la culture moderne,
mais nous en emparer,
pour la nier. »
Rapport sur la construction des situations
Je suis désormais l’heureux propriétaire d’un Ronin 2 ainsi que d’un Ready Rig GS ProArm. Cette combinaison offre aux cinéastes des possibilités énormes à un excellent rapport qualité prix, le meilleur du moment. Le Ronin 2 est le nouveau gimbal de DJI. Il permet de stabiliser vos images avec pratiquement n’importe quelle caméra et dans n’importe quelle condition. Le support Ready Rig permet quant à lui de supporter le Ronin 2 aisément tout en contrôlant davantage vos mouvements pour que ceux-ci soient au maximum fluides.
Puisque que je n’utilise pas cet ensemble tous les jours, j’ai décidé de mettre sur pied une structure de location afin de rendre disponible tout mon attirail à un prix compétitif. Vous trouverez chez moi le nécessaire pour tourner vos films à petit budget.
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Lettre à un collègue cinéaste sur la fausse dualité de nos projets et sur les manières d’y remédier
« Always historicize! »
Fredric Jameson
Cher Étienne,
Je t’écris cette lettre car j’aimerais revenir sur l’offre que je t’ai faite il y a de cela quelques semaines. Je me sens obligé de le faire parce que ton père m’a glissé un mot à ce sujet à la toute fin de notre dernière rencontre. Il veut savoir comment nous allons partager le projet. À vrai dire Étienne, je n’ai pas su quoi lui répondre. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil depuis que tu as décliné mon invitation à discuter des termes d’une éventuelle collaboration. En ce qui me concerne, faire cavalier seul n’est pas une solution satisfaisante. Mon but avec cette lettre est de clarifier mon offre et de signaler qu’elle tient toujours.
Le fait que nous voulons réaliser tous les deux un film sur le même sujet exige réflexion sur un éventuel arrangement. Ma proposition, c’était – et c’est toujours – de s’asseoir pour le trouver. Toute entente repose sur un accord préalable comme quoi nous soutenons moralement les deux projets. Il faut avoir l’assurance qu’aucun des deux réalisateurs n’utilisera son pouvoir contre l’autre. Or, depuis que je t’ai annoncé que je voulais mener moi aussi des entrevues, j’ai l’impression que tu crains de me voir voler ton film. J’ai interprété ainsi la question que m’a posée ton père après ton refus de collaborer. Moi, je m’inquiète des répercussions négatives que pourraient avoir une mésentente ou une dissociation. De cette riche histoire de révolte à Sept-Îles peut jaillir cent films tout aussi différents et socialement nécessaires les uns que les autres. On devrait partir de là. Cette crainte que je vole ton film n’est qu’un aperçu des problèmes que nous devrons surmonter. Il y a aussi celui non négligeable des acteurs qu’il faudra contacter séparément et auxquels nous devrons expliquer cette dualité organisationnelle en même temps que la nature distincte des projets, ce qui ne manquera pas de semer la confusion. Je veux m’assurer que tous les acteurs auront envie de participer aux deux projets indistinctement, voilà ma priorité.
Au départ, tu voulais régler notre problème en partageant l’espace cinématographique d’après la bonne vieille séparation entre fiction et réalité. Ça aurait pu marcher, mais voilà que la forme projetée de mon film rend impossible une telle division du travail : je veux réaliser les deux à la fois, une fiction et un documentaire. Je tire mon inspiration du cinéma direct. Je veux moderniser Pour la suite du monde, faire un film sur la fin d’une (belle) époque qu’on regrette car caractérisée par ses grèves et son goût pour l’utopie. Mon but n’est pas tant de scruter à la loupe la Débâcle de Sept-Îles comme une histoire morte et objective qu’il s’agirait de raconter mais davantage de connaître ses acteurs et de les faire mouvoir dans un espace politique qu’ils recréeraient pour l’occasion. Il ne fait aucun doute que la réminiscence de leurs actions les plus héroïques réanimera aussitôt les débats politiques les plus contemporains et urgents, le tout sans doute agrémenté d’un certain désenchantement qui pèse lourd en ces jours sombres. Voilà quelles sont les prémisses de mon film.
Depuis le début nous sommes d’accord : il est hors de question de coréaliser. Toi et moi tenons trop à notre autonomie en plus d’avoir des visions différentes. Et comme tu le sais, je coréalise déjà mon film avec Pierre-Luc Junet et je travaille avec toute une équipe de production. Cela dit, la coïncidence que représente la récente découverte de nos projets simultanés exprime parfaitement un besoin d’interprétation commun, un peu comme si nous étions l’un pour l’autre des frères. Nous partageons un désir rehaussé par un même sentiment d’urgence de fouiller cette histoire enfouie dans des mémoires ma foi fragiles. Je demeure persuadé que ma quête pour comprendre la société québécoise par l’analyse et la mise en scène de cette insurrection appréhendée sera enrichie par ton travail, et vice-versa.
Il faut donc trouver un terrain d’entente. Le plus important est sans doute d’établir ce que j’appellerais une structure minimale et d’en définir les termes. Cette structure doit assurer notre autonomie de créateur et ne jamais être vue comme une contrainte. Ultimement, dans le meilleur des mondes, on tournerait ensemble des entrevues, on partagerait le matériel et les fruits de la recherche documentaire. Toutes ces options – loin d’être obligatoires – pourraient être étudiées avec soin en fonction des besoins spécifiques de nos projets. Mais je pense surtout à quelques rencontres pour discuter de l’avancement de nos projets question de ne pas se piler sur les pieds, le plus probable étant que nous tournions chacun nos films séparément et qu’en même temps nous nous aidions. Ne pas postuler pour les mêmes subventions en même temps, ne pas rivaliser sur la cueillette d’informations privilégiées, ne pas faire deux fois inutilement ce que nous pourrions partager une fois.
Pour revenir sur la forme de mon film, oui, son processus de production implique de mener des entretiens préliminaires sous forme d’entrevues avec chacun des protagonistes. Il s’agit de les faire coucher sur le divan une première fois. Mais ces entrevues représenteraient une partie superficielle du montage final puisque je veux à tout prix éviter un film documentaire du type talking head. C’est quand je t’ai annoncé mon intention de mener de tels entretiens que nos rapports se sont un brin envenimés. Je t’ai senti sur la défensive. C’est pour éviter un cul-de-sac que je t’ai proposé de mener ces entretiens ensemble en fixant conjointement les règles de leur partage. Je t’ai dit que je me satisferais d’un plan entrevue plus large, que je te laisserais la première caméra car je suis davantage intéressé par les mots que par les images. Je t’ai aussi offert de partager mon équipement, mon temps et mes prises de vue dans leur intégralité. J’ai aussi voulu faire de toi un personnage de mon film, ce qui aurait été une mise en abîme fort intéressante pour différencier nos deux projets sur le plan de la forme. Tout ça n’était que des propositions, des idées que je mettais sur la table pour résoudre notre problème. Je crois que je les ai formulés trop vite et qu’elles ont été mal perçues pour cette raison. L’essentiel, je te le répète, c’est de se rencontrer pour établir une structure minimale assurant qu’on ne se pile pas sur les pieds. La nature de cette structure doit être décidée conjointement et ne doit pas être imposée par l’une ou l’autre des parties. Celle-ci garantira notre liberté de création.
Je dis que tu as été sur la défensive, mais de mon côté aussi j’ai eu des pensées stratégiques. La découverte de ton projet a été de prime abord perçue comme un danger et c’est pareil pour toi face au mien. Qu’on se sente menacé en pareille situation est naturel dans cette société si cruelle qui nous met en compétition. Mais c’est une belle connerie! Ce besoin de propriété sur un sujet historique est une imposture : la révolte de Sept-Îles n’appartient à personne. Sa mémoire, en partie du moins, appartient certes à ses acteurs, mais c’est leur devoir de la transmettre le plus librement possible aux jeunes générations qui en ont été trop longtemps privé.
Je n’ai pas la prétention d’avoir les réponses aux mille questions que suscite une éventuelle collaboration. Or, chose certaine, sans construire un rapport politique égalitaire nous serions en pure compétition : une compétition pour les subventions, les informations et les acteurs et de surcroît, en compétition dans les compétitions. Oui, la tradition du cinéma est hiérarchique et dure. Elle réduit notre autonomie au minimum tellement c’est un art collectif qui nécessite des moyens énormes. Ce constat est encore plus vrai au Québec. Je crois qu’une démarche politique qui nous lierait serait l’occasion parfaite pour briser cette tradition. Il faut pour cela développer une organisation du travail qui soit une réponse positive et nouvelle au défi que représente la production artistique pour des prolétaires sans moyen comme nous qui tendent à se diviser. Notre situation est en ce sens emblématique : nous vivons la compétition de manière beaucoup plus directe qu’à l’habitude. Il y a ici deux projets, deux réalisateurs, deux visions du monde et un même objet à déchiffrer. C’est une opportunité à saisir.
Étant tous les deux des travailleurs nouveau genre, sans syndicat ni protection aucune, ne devrions-nous pas résoudre cette apparence de conflit en scellant notre solidarité, en créant cette organisation manquante à nous et à bien d’autres qui s’acharnent pour exister socialement dans la sphère culturelle, dans cet univers exigu au sein duquel sévit le pire cannibalisme entre les membres de notre classe sociale, tous s’entre-déchirant pour échapper à la misère d’un job abrutissant? Je crois que la collaboration par-delà la logique territoriale, familiale ou corporative représente le défi par excellence de notre époque. Et c’est là l’originalité même de la révolte de Sept-Îles par laquelle des travailleurs de tous les horizons ont jeté par-dessus bord un instant la nomenclature sociale au service d’un universel.
Tu m’as demandé ce que je peux faire pour toi. Beaucoup. Crois-moi. Je suis très généreux et mon travail est avancé. Il n’y a rien de plus ridicule dans la production capitaliste que la perte d’énergie humaine qu’engendre la compétition. Je pense en particulier aux travailleurs du secteur informatique qui refont sans cesse des tâches chiantes parce que leur entreprises n’ont pas les droits d’utilisation sur une technologie, celle-là même que d’autres se sont accaparés en dépossédant leurs employés des fruits de leur ouvrage. Ce travail d’enquête que j’ai déjà fait, je veux te l’offrir. Pour te démontrer ma bonne foi, je rends en même temps disponible à tout le monde que cette lettre les archives que nous avons recueillies jusqu’à maintenant dans le cadre du projet. Voilà déjà une première participation à ce que j’appelle le patrimoine culturel libre. Le but de ma démarche envers toi est de mettre un terme aux conséquences néfastes qu’auraient de mauvais rapports, mais surtout de capitaliser sur nos forces respectives pour tous deux mieux oeuvrer. Briser la morale capitaliste et la supplanter par celle du partage commence aujourd’hui.
Ton père se montre réticent à participer à notre film parce que tu veux toi-même en réaliser un. J’ai perdu espoir de le convaincre bien que je trouve ça dommage. Par-delà la conséquence directe de cette situation sur mon film, à savoir qu’il sera sans doute privé d’un des acteurs les plus remarquables de cette révolte, je m’inquiète davantage de l’effet domino que son refus pourrait produire. Les acteurs doivent quant à moi accepter ou refuser de participer à tel ou tel projet à la lumière des explications données par les réalisateurs et non pas de peur de blesser l’un de leurs camarades les plus chers. Étant donné la nature du sujet éminemment politique, s’il doit y avoir compétition j’espère à tout le moins qu’elle portera sur la qualité du travail de ses producteurs et sur leurs orientations.
Bref, il faut nous faire une raison : ton film verra le jour et le mien aussi. Si je te relance de la sorte, c’est que je tâche d’être à la hauteur des convictions politiques de ces travailleurs qui voulurent prendre le contrôle de leur destin en refusant les règles du jeu. Je veux atteindre un niveau d’excellence tant dans l’art que dans la vie quotidienne et c’est pourquoi je t’interpelle pour rompre avec la tradition du cinéma. Je ne doute pas une seconde que c’est aussi ton désir. Par contre, peut-être doutes-tu du potentiel de notre travail commun. Mes cartes sur table, je te propose qu’on se rencontre prochainement pour tirer les choses au clair et idéalement fonder une structure de partage minimum. Si l’on constate alors qu’il n’y a vraiment rien à faire, la vie suivra son cours, mais au moins, je n’aurai pas à regretter de n’avoir pas essayé, en toute sincérité, de faire du cinéma autrement.
À bientôt j’espère,
David